État de l’art sur le covoiturage domicile-travail, dans une perspective comportementale

Xavier Brisbois, chercheur associé au LVMT et au LIRTES et expert des processus de changement de comportement de mobilité guide le programme Tous Covoitureurs ! dans la mise en place d’une méthodologie d’accompagnement innovante auprès des bénéficiaires. Dans ce cadre, un état de l’art complet de la littérature sur le covoiturage domicile-travail a été réalisé.

Le covoiturage pour les trajets domicile-travail est une solution qui peut permettre de répondre de manière pertinente à plusieurs enjeux sociétaux, économiques, environnementaux et sanitaires posés par la mobilité. Toutefois, cette solution reste sous-utilisée et la littérature scientifique sur le sujet vise essentiellement à comprendre comment encourager la pratique, en essayant soit d’identifier ce qui va conduire les individus à y recourir soit ce qui les en empêche.

Pour synthétiser, la littérature envisage deux grands axes de facteurs explicatifs de la pratique de covoiturage. Les dimensions socio-démographiques d’une part, comme le genre, l’âge ou encore le statut socio-économique, sont très étudiés avec l’espoir d’établir un « profil-type » du ou des covoitureur(s). Cependant, même si certaines tendances se dégagent, les résultats sont controversés et il est difficile d’en tirer une vision propre à promouvoir la pratique. D’autre part, sont envisagées les dimensions situationnelles, comme les caractéristiques de l’environnement ou des services de transport. Les études montrent que la configuration et les équipements de l’environnement urbain affectent la probabilité de covoiturer, mais ces dimensions ne suffisent pas à expliquer pourquoi, dans le même environnement, certains individus covoiturent et d’autres non.

Ces deux types de facteurs sont largement étudiés car ils sont faciles à évaluer et semblent devoir recouvrir les déterminants naturels de la pratique du covoiturage. Cependant, même s’ils ont un impact, celui-ci est limité et, de plus, ils offrent peu de leviers d’action pour promouvoir le covoiturage. La littérature sur les facteurs psycho-sociaux, par contraste, présente plus de potentiel. Tout d’abord, trois types de motivations se dégagent lorsque l’on interroge les individus à propos de la pratique du covoiturage : premièrement le fait de réaliser des économies, puis de contribuer à préserver l’environnement et, enfin, le fait d’établir de nouvelles relations sociales. Il faut aussi considérer la notion de contrôle comportemental : se sentir capable de covoiturer est une dimension absolument primordiale. D’autres variables sont également importantes, comme le sentiment d’obligation personnelle (norme personnelle), le fait de voir les autres pratiquer le covoiturage (norme descriptive) et également la confiance vis-à-vis des autres participants à l’usage. Ces dimensions sont intéressantes en ceci qu’il est possible d’essayer d’agir sur elles, plusieurs de nos recommandations visent à cela.

La littérature identifie également des freins qui vont empêcher les individus qui pourraient souhaiter covoiturer de passer à l’action. Dans une démarche de promotion du covoiturage, il est important d’identifier ces freins et d’essayer de minimiser leur impact. Ces freins peuvent être personnels, comme la crainte de perdre son autonomie ou son statut, relationnels, comme la crainte vis-à-vis du comportement du partenaire potentiel, ou encore organisationnels, comme les difficultés à organiser un trajet et à trouver un partenaire.

Les publications scientifiques existantes traitent de l’ensemble de ces dimensions mais rien n’indique qu’il existe aujourd’hui une vision claire et synthétique propice à fonder une stratégie générale de promotion de covoiturage. Une telle vision reste à élaborer. En outre, certaines pistes de recherches ne sont encore que peu ou pas exploitées. La question des représentations en particulier serait intéressante à investiguer, représentations de la voiture en elle-même comme du covoiturage proprement dit. En outre, il y a des spécificités culturelles, le statut social conféré par la possession et l’utilisation de la voiture semble important en France par exemple, mais ce n’est pas forcément le cas dans d’autres pays. Une comparaison inter-culturelle pourrait permettre de mettre en évidence des variables sur lesquelles jouer et des particularismes à prendre en compte. La représentation du covoiturage en soi, est, elle aussi, peu étudiée alors qu’il semble fondamental d’identifier ce qui la compose puisque c’est là que se trouvent les fondements de la capacité des individus à percevoir l’usage comme possible, attrayant et souhaitable, et qu’il s’agit d’éléments sur lesquels on peut peser à court ou à long terme. La perception du covoiturage détermine aussi les pratiques associées. Le fait d’être perçu seulement comme une solution de dépannage pourrait par exemple être un frein à la pratique, et c’est ce qui semble apparaître puisque des circonstances exceptionnelles (grèves…) conduisent à covoiturer mais que cette pratique disparaît une fois la situation habituelle rétablie. Faire évoluer ces représentations semble indispensable pour permettre un usage quotidien.. Un autre aspect essentiel qui nécessiterait plus de recherches est celui des freins, compris non pas du point de vue des personnes qui souhaiteraient covoiturer et ne le font pas, mais de celui, plus spécifique, des personnes qui covoiturent une fois et ne le refont pas ensuite. Identifier les écueils qui conduisent à l’abandon ou à la non-répétition de la pratique permettrait d’avoir un autre angle de réflexion pour croiser les points de vue en partant des ressentis individuels, et pourrait mener à des pistes d’actions pour mieux pérenniser la pratique une fois obtenu des individus qu’ils réalisent un essai.

Les facteurs et les freins identifiés permettent cependant d’établir déjà plusieurs recommandations pour favoriser le covoiturage. Avant toute chose, il convient de permettre et faciliter le plus possible le covoiturage, notamment par la conception d’un dispositif technique et par la communication sur celui-ci, avec pour objectif de minimiser les efforts nécessaires pour tous les types d’usage et guider le plus possible les personnes sans restreindre leurs options et leur sensation de maîtrise. En effet, les difficultés d’organisation sont rédhibitoires et le sentiment de contrôle, c’est-à-dire de se sentir capable de covoiturer, est crucial. Les stratégies de communication doivent être adaptées, avec certains éléments-clefs à mettre en avant, et, surtout, en fournissant des opportunités récurrentes et les plus individuelles possible d’entrer dans l’usage. Les motivations à pratiquer le covoiturage peuvent aussi être stimulées, notamment par l’usage de feed-backs sur les économies financières réalisées ou la pollution évitée par exemple. L’influence sociale peut également être mise à profit pour favoriser le covoiturage, peut-être en augmentant la visibilité des personnes qui covoiturent. Enfin, des expérimentations montrent que des stratégies comportementales, en proposant de réaliser d’abord de petits comportements en lien avec le covoiturage, s’avèrent pertinentes pour favoriser l’engagement dans la pratique du covoiturage.

D’autres pistes pourront aussi être envisagées à partir de recherches complémentaires. La question de la représentation de la voiture étant importante, comme territoire privé notamment, il serait intéressant d’étudier si, par exemple, le covoiturage serait accepté différemment avec une voiture de fonction, et plus largement quelle image donner à propos de cet enjeu d’inviter autrui dans « sa » voiture. Davantage d’études sur la dimension culturelle au sein de l’entreprise permettraient aussi de proposer d’autres recommandations pour favoriser le covoiturage en valorisant cette pratique dans l’entreprise sans pour autant générer de conflits ou de clivages entre les salariés.

Pour finir, faute de disposer d’un ensemble de certitudes théoriques sur la manière de procéder, il est indispensable de procéder à des essais d’actions, inspirées par les éléments théoriques identifiés, et de valider leur efficacité ou de les adapter avant d’envisager une mise en œuvre systématique. En l’état actuel des connaissances, il semble nécessaire d’avancer simultanément dans l’apprentissage des bonnes pratiques et dans leur mise en œuvre, par itération si possible et en mettant en place les moyens nécessaires à leur évaluation.

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